Kamerhe en prison, des scandales financiers et bourdes qui pleuvent, couplés des querelles intestines institutionnalisées, avec une justice boiteuse et un chaos économique persévérant, le pouvoir « KiZoba Zoba » du président Félix Tshisekedi et ses alliés Kabilistes entame sereinement son naufrage à la tête de la République démocratique du Congo.
« La pire chose qui puisse vous arriver est que Dieu exauce vos prières », disait le professeur Makambo Lisika. C’est ce qui semble arriver au président Félix Tshisekedi et ses combattants, regroupés au sein de l’Union pour la démocratie et le Progrès Social (UDPS), ou encore au sein de la large alliance du Cap pour le Changement. Après trente-deux ans de lutte, la mère des partis politiques en République démocratique du Congo arrive enfin au pouvoir, tel ce sujet dont le divin en exauce enfin les prières. Mais avec un peu de courage et de discernement, l’UDPS n’aurait sans doute pas excepté ce pouvoir-là.
Une coalition « KiZoba Zoba »
Le nom de la coalition en disait long. Le changement. C’est ce que promettaient Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe à l’issue de leur incartade à Genève. Mais dès le soir de l’annonce de la victoire, les partisans du nouveau président étaient eux-mêmes appelés à danser sur une bipolarité qui allait alors s’ériger en mode de gestion. « Il ne faut plus attaquer Joseph Kabila. Il est désormais un partenaire pour l’alternance démocratique », lançait le fils du Sphinx, devant une assistance euphorique de la victoire, et qui ne tient pas réellement la portée de ce discours. Les lendemains seront révélateurs. La coalition FCC – CACH est mise en place, à cheval entre l’amour et la haine, dans une idée assez simple : partage des responsabilités ! Au mieux, partage des postes à tous les niveaux. Nul, dans le pays tourmenté, n’ose réaliser l’incongruité d’un tel objectif. C’est inédit, dira-t-on. Aussi, rapidement, chaque personne qui s’adjugeait un poste, se mettait dans la peau de celui qui devait se servir et non servir. Butin de guerre. Une si longue guerre de 32 ans. Dieudonné Lobo en est l’image parfaite de ce début de mandat.
L’ami intime du Chef de l’Etat est chopé dans un trafic d’influence à 2 millions de dollars. Le nouveau président ne pourra même pas faire semblant. L’homme est envoyé à Makala, avant d’être gracié et envoyé à l’hégire en Belgique. Mais il sonnait là le début d’une avalanche, n’étant que précurseur. « Détournement » sera le maître mot des affaires qui entourent Félix Tshisekedi. « Millions » en sera l’unité de mesure. Dans un pays qui manque de tout, le nouveau Chef de l’Etat est obligé de dénoncer lui-même des proches « plus préoccupés par le business que de la politique ».
« KiZoba Zoba » est une couture congolaise qui consiste à prendre des morceaux de plusieurs pagnes pour en faire un seul, formant une tenue de ménage, de terrasse. C’est en tout cas l’image de ce pouvoir. Car si l’intention de s’enrichir est établie, la guerre pour y parvenir allait être intense. Vital Kamerhe, lui d’abord, qui sort d’une longue période de traversée du désert, envahit le cabinet présidentiel de ses proches et de ses combines. Mais il ne trouvera pas un Boulevard. En face de lui, Marcellin Bilomba et la clique à UDPS, jaloux des retombées juteuses du président de l’UNC, tiennent à le défenestrer. En embuscade, Joseph Kabila y déverse toute sa clique à vautours autour de Félix Tshisekedi. S’ils ne sont pas à la Présidence, ils sont au gouvernement ou dans d’autres institutions clé : bonjour le chaos.
Vital Kamerhe tombe en premier. La justice lui trouve une affaire boutiquable. Il est aux portes de la condamnation. Mais seulement parce que la politique le permet. Car, au départ même de cette affaire dite de 100 jours, c’est un certain Célestin Tunda ya Kasende, justicier Kabiliste, qui écrit une lettre en février 2020, pour demander aux juges de lancer des enquêtes. Félix Tshisekedi et son camp ne laisseront que faire, prenant soin de rester loin de la pente qui emporte un allié qui s’accroche certes. Mais la peau de banane, qui n’a pas forcée, vient avec tout un lot de coupables : outre Lobo qui a miraculeusement échappé à des poursuites, plusieurs procès sont en cours et même plusieurs personnalités arrivent à peine à s’y extirper. La République des juges est née.
Un naufrage certain et collectif
Et lorsqu’ils ne se prennent pas la tête dans un procès, c’est sur le chapitre politique qu’un concert de casseroles a lieu : tenez, depuis son élection, Félix Tshisekedi voit son camp et celui de Joseph Kabila s’aimer très mal. Le président congolais a lui-même dénoncé des ministres qui n’obéissent pas, avant de menacer de dissoudre le Parlement. A ce jeu de ping-pong, Jeanine Mabunda lui brandit une destitution, avant que son adjoint, Jean-Marc Kabund, ne vienne à son tour risquer son poste. S’ensuit une bagarre physique, parlementaire et judiciaire. Un député est arrêté en pleine immunité, un vice-président de l’Assemblée nationale fait sceller le Parlement… bref, la République du Gondwana y dénonce une concurrence déloyale.
Mais des simples querelles ne pourraient noyer tout un pouvoir. Les vrais faits sont ailleurs. A son arrivée, Félix Tshisekedi trouve à peine 1 milliard de dollars dans les réserves stratégiques en devise et un budget national qui s’exécute en toute irréalité. Poussé par sa ferveur populiste, suivant un pouvoir « KiZoba Zoba », le voilà rejetant une projection budgétaire à 7 milliards de dollars pour l’année 2020. Le président en avait promis 20 durant la campagne. Le Parlement se pliera exceptionnellement à quatre pour lui offrir près de 11 milliards, le sachant sans doute piégé.
Nous sommes en septembre 2019, le monde va mal, le nouveau président dépense sans compter, tantôt dans les voyages, tantôt dans un programme de 400 millions qui en dépensera plus de 225 millions, tout en prenant le soin d’offrir à ses proches et alliés d’opportunités de détournement et des dividendes. Rapidement, les caisses de l’Etat sont vides. En décembre, le Président se retrouve avec un programme de gratuité d’enseignement de base en quête de millions à travers un monde qui n’ose lui faire confiance. La manche tendue à Paris, à Washington et partout ailleurs ne donne rien. Les capitales occidentales n’arrivent pas à suivre la logique congolaise : dépenser sans compter et quémander de l’aide internationale.
Les héritiers du Sphinx désillusionnent le Congo
2020 sera l’année de l’action. Vital Kamerhe est envoyé en prison. Limete jubile, mais le président est en réalité stoïque. La crise financière qui frappe le monde atteint une proportion endémique en RDC. Le brillant José Sele Yalaghuli lui propose un plan de Trésorerie beaucoup plus réaliste, découpant en deux le budget largement imaginaire. Mais l’UDPS n’a de leçon à recevoir de personne. L’Amérique a promis de l’argent, quitte à défenestrer quelques Kabilistes : Shadary, Kalev et Kahimbi sont inquiétés de manière cosmétique. Ce dernier trépasse et fait passer le yo-yo entre Tshisekedi et Kabila à une autre dimension.
Toc-toc, nous sommes en février. Tempête sur le pouvoir. Le bateau tangue. Devant lui, un iceberg se pointe : le Covid-19 arrive, avant de changer de genre, devenant « la » Covid-19. Tshisekedi et son pouvoir prennent l’eau. Ce Titanic n’a pas de canots de sauvetage. Débute le naufrage d’un pouvoir, la désillusion s’installe au même rythme que les scandales financiers qui sont dévoilés autour du président congolais. Comme si elle avait une dent contre Félix Tshisekedi, la Covid-19 étale tout son pouvoir dans une incapacité digne d’études à Yales : les autorités arrivent finalement à faire peur au virus. La Tour dépasse celle de Babel. La confusion est harmonieuse. Les institutions se mangent entre elles, tout comme les proches du président qui trappassent.
A ce lot, il faudra ajouter l’insécurité qui se porte bien à travers le pays. Les frontières congolaises deviennent des passoirs pour les armées rwandaises, ougandaises et même sud-soudanaise. Dans le sud, vers Lubumbashi, Gédeon Kyungu est sorti de sa cage avec son lot d’insécurité. A Kasumbalesa, la Wewacratie qui sévit à Kinshasa la capitale y gagne du terrain. L’année de l’action aura tenu sa promesse. Mais à Kinshasa, l’illusion est passée. L’incapacité ne laisse plus d’équivoque. La bataille qui s’annonce autour de la CENI entame déjà le processus d’une succession certes loin. En attendant, il faudra supporter encore deux ou trois ans. Trois ans de bégaiement et de prolepses d’un pouvoir qui navigue à vue et qui coule. Trois ans de volonté dénuée de moyens et de courage, mais remplie de contradictions de d’avarice.
Lambert Mende et José Makila ne nous contrediront pas. L’enjeu reste à partager les derniers postes reliquats et à préparer les élections de 2023. Mais avec un bilan aussi éloquent et une crise aussi profonde, avec une Covid-19 qui annonce des lendemains aussi incertains et les ambitions affichées des Kabilistes de reprendre la CENI, le Congo se prépare à son naufrage, à l’issue de celui du pouvoir de Félix Tshisekedi ; à moins que Rose, qui abandonne Jack se noyer à Makala, trouve un moyen de s’agripper sur un radeau et s’offrir une transformation rapide de sa gouvernance.
Litsani Choukran,
Le Fondé.