La récente nomination du Premier ministre ne laisse pas indifférente l’opinion publique RD Congolaise dont les réactions fusent non seulement de la classe politique, mais aussi de la société civile. Intervenant au journal Kivuavenir.com, le Professeur Alfonse Maindo, membre de la Dynamique des Professeurs et des Universitaires Congolais, fait une critique de la situation politique actuelle et les responsabilités confiées au Chef du prochain gouvernement. Il estime, au regard du parcours du Premier ministre non clivant et peu connu du public alors qu’aux affaires depuis Mobutu, que cette nomination « permet au FCC et à son autorité morale de continuer à tirer facilement les ficelles politiques sans devoir répondre de quoi que ce soit ». Pour lui, le Premier ministre Ilunga devrait plutôt être exactement à la tête du sénat et non du gouvernement, considérant aussi le poids de son âge (74ans).
Ci-dessous la réflexion du Prof Alfonse Maindo :
Après de longs mois d’attente et de suspens, la RDC a enfin un Premier Ministre pour diriger le premier gouvernement de Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi. Les tractations ont été ardues et serrées tant tous les favoris pressentis ont été écartés. Encore une fois, la RDC a bluffé tous les pronostics : après un Président de la république inattendu, un chef de gouvernement surprise. Pourquoi une si longue attente et un suspens si intense pour accoucher d’une souris ? Seuls l’ancien chef d’Etat devenue l’autorité morale du FCC et son successeur désigné détiennent les clés de cet épilogue tout comme le secret de l’accord FCC-CACH.
Pour l’heure, rappelons que le nouveau chef du gouvernement est un universitaire qui traine derrière lui une longue carrière politique depuis Mobutu mais il reste inconnu ou peu connu du grand public. Plusieurs fois ministre et gestionnaire des entreprises publiques, mais avec des bilans peu élogieux. Il avait même été épinglé par la conférence nationale souveraine pour biens mal acquis. Nommé Directeur Général de la SNCC en 2014, il n’a fait qu’empirer la situation dramatique dont il avait hérité à la tête de cette entreprise d’Etat qu’il quitte avec plus de 270 mois d’arriérés de salaires du personnel selon certaines sources bien informées. Son choix au sommet de l’Etat pour conduire la politique de la nation n’augure rien de bon. Il obéit à une logique de repositionnement qui arrange les affaires de deux Présidents (« le restant » et « l’entrant ») et nullement celles du pays. Ce duo se serait accordé sur Ilunga pour sortir la tête haute dans le duel qui semble s’engager entre deux hommes et, partant, entre deux familles politiques (FCC et CACH). « L’entrant » se doit de montrer que le déboulonnement de la dictature est en marche pour avoir rejeté les poids lourds désignés par « le restant » obligé de confirmer son leadership sur son camp et le pays en imposant son homme. Oubliées les prétentions de CACH de faire nommer un informateur ou mieux un des siens à la primature, tels Vital Kamerhe ou André Mbata dont les partisans distillaient les noms dans les médias (sociaux). Dans tous les cas, le choix d’une personnalité peu affirmée et non clivante à la primature permet au FCC et à son autorité morale (peut-être autorité morale nationale tout court) de continuer à tirer facilement les ficelles politiques sans devoir répondre de quoi que ce soit. Bien mieux, on a déjà entendu les injonctions du PPRD (au nouveau premier ministre) dont on connait les méthodes de gestion et surtout les résultats. Et on sait qui tiendra la quenouille.
Le choix du premier ministre, qui est un compromis honorable pour Kabila et Tshisekedi, semble donc être un très mauvais signal répondant aux contingences politiciennes d’équilibrisme. Certes, c’est le plus petit dénominateur commun, d’une part, au sein du FCC où les poids lourds n’ont pas caché leurs ambitions, d’autre part entre Joseph Kabila et Félix Antoine Tshilombo comme deux coqs qui disputent le contrôle d’une basse cour et, d’autre part enfin, entre les contraintes de politique interne et la pression internationale continue sur le nouveau locataire du Palais de la Nation qui doit aussi montrer à sa base qu’il est aux commandes. Ce choix permet d’instituer le bicéphalisme de l’exécutif comme en période de cohabitation, mais avec une différence de taille spécifique à la RDC, les deux chefs de l’exécutif sont tous deux Présidents, Joseph Kabila et Félix Antoine Tshisekedi. Tous les deux sont également irresponsables politiquement devant le parlement. Situation inédite donc avec les principaux acteurs politiques qui ne peuvent pas répondre de leurs politiques. En attendant le vote des citoyens congolais pour paraphraser l’écrivain ivoirien Paul Ahmadou Kourouma.
Par ailleurs, le choix du premier ministre interpelle également du fait du grand âge de l’heureux locataire de l’hôtel du gouvernement. En effet, ce n’est pas manquer de charité ni d’égards à celui qui pourrait être un dinosaure pour ne pas utiliser le lexique suranné des années 1990 que de le souligner. A cet âge de sagesse, il sera plus décent de conseiller plutôt que de se mouiller le maillot sur le terrain. Le passage d’Antoine Gizenga à la tête du premier gouvernement du jeune Président Joseph Kabila est là pour rappeler brutalement à ceux qui l’auraient oublié que ce n’est pas une tâche facile. La charge du gouvernement avait davantage pesé sur le ministre d’Etat près la primature, Monsieur Mayombo, que sur l’authentique titulaire officiel du poste. L’histoire pourrait se répéter. La mission de diriger le gouvernement pourrait devenir un chemin de la croix pour un homme sur lequel l’âge pourrait peser de tout son poids. Le poids de l’âge peut être un handicap pour une fonction de premier ordre dans l’architecture constitutionnelle de la RDC.
Le travail du premier ministre est très exigeant aussi bien physiquement que mentalement voire émotionnellement. Du haut de ses 74 ans révolus et fort de sa longue expérience de la politique congolaise depuis plusieurs décennies, le Professeur Ilunga devrait plutôt être exactement à la tête du sénat et non du gouvernement. Chaque génération a son importance et son rôle à jouer dans la nation. Ce n’est pas à ce grand âge que l’on dispose encore du dynamisme et de l’imagination nécessaires pour faire face aux nombreux immenses défis de la nation et du peuple congolais aujourd’hui. C’est de la maturité qui assure la sagesse et la prudence pour retenir le zèle et tempérer l’imagination des jeunes. François-Antoine de Boissy d’Anglas, rapporteur de la Constitution française du 5 Fructidor An II (1795), l’avait déjà souligné en son temps : « les Cinq Cents seront l’imagination de la République, les Anciens en seront la raison ». L’historienne Karen Fiorentino renchérit : plus âgés, les anciens ont « nécessairement bien connu l’Ancien Régime et ont pu apprécier sa stabilité par rapport aux tourmentes des années 1793 à 1795. Ils sont donc susceptibles, avant tout, de chercher dans la vie politique à recréer cette stabilité et à s’opposer à toute mesure fantaisiste pouvant affecter profondément le corps social ». Le zèle et l’imagination, le dynamisme et l’énergie, ce sont là le moteur de l’action gouvernementale, plus particulièrement en cette période où le défi majeur du gouvernement qui prétend à l’alternance démocratique est de mettre en œuvre une politique différente et de vrai changement. Le peuple congolais a montré sans ambages le 30 décembre 2018 son désir de changement qu’il faut écouter pour éviter une implosion politique au pays. Le gouvernement c’est la cheville ouvrière de l’État, il lui faut donc de l’énergie et beaucoup d’imagination pour bien conduire un pays comme la RDC en proie à des multiples problèmes graves. Quand deux Présidents se disputent la gestion d’un pays, il y a de l’électricité en l’air.
Paris, le 26 mai 2019
Professeur Alphonse Maindo