Lors d’une intervention publique tenue à Kinshasa, dans le sillage des débats suscités par l’accord de paix signé à Washington entre la RDC et le Rwanda, le prix Nobel de la paix a livré une analyse critique du régime actuel et du contexte géopolitique dans lequel il évolue.
« Ce pays n’est pas encore indépendant. Il n’est pas une République. Il n’a rien de démocratique. »
— Dr Denis Mukwege
Une indépendance nominale mais un contrôle extérieur persistant
Mukwege dénonce ce qu’il appelle une indépendance de façade, soulignant que depuis l’assassinat de Patrice Lumumba, le destin de la RDC est constamment influencé, voire dicté, par des puissances étrangères et des intérêts économiques transnationaux.
Il accuse implicitement certaines puissances occidentales et régionales d’utiliser la fragilité de l’État congolais comme un levier pour accéder aux ressources naturelles du pays, en soutenant indirectement des milices ou en signant des accords jugés déséquilibrés.
« Trente ans après les accords de paix d’Addis-Abeba, de Lusaka, de Pretoria ou de Sun City, on continue à signer des textes sans tirer les leçons de l’histoire. On répète les mêmes erreurs, et cela produit les mêmes conséquences : la guerre, les massacres, l’impunité. »
Une critique virulente de l’accord de Washington
Le docteur Mukwege s’oppose avec véhémence à l’accord de paix signé le 27 juin 2025 à Washington entre Kinshasa et Kigali. Pour lui, cet accord ne règle rien en profondeur : il évite les questions fondamentales telles que la souveraineté nationale, le désarmement réel des groupes armés, la justice pour les victimes, et l’implication de la société civile dans le processus de paix.
« Ce n’est pas un vrai accord de paix. C’est un accord diplomatique imposé d’en haut, sans consultation des populations locales, sans inclusion des voix des victimes, sans regard sur les véritables causes du conflit. »
Il redoute que cet accord, loin d’apporter une paix durable, ne serve qu’à blanchir certaines responsabilités et à offrir une couverture diplomatique aux actions militaires du Rwanda à l’est du Congo, notamment à travers le M23, accusé d’occuper plusieurs villes stratégiques et d’exploiter les ressources minières sous contrôle rwandais.
Une démocratie en crise
Sur le plan institutionnel, Mukwege affirme que la RDC ne mérite pas encore son nom de « République démocratique », pointant du doigt :
- L’absence d’un État de droit : l’impunité pour les crimes de guerre, les arrestations arbitraires, et l’instrumentalisation de la justice.
- Une démocratie de façade : où les élections sont entachées de fraudes et où les institutions sont largement contrôlées par l’exécutif.
- Une société civile muselée : régulièrement menacée ou réprimée lorsqu’elle ose critiquer le pouvoir ou proposer des alternatives.
Un appel à la rupture
Dr Mukwege exhorte les Congolais et les partenaires internationaux à rompre avec les logiques de compromission et d’accords de surface. Selon lui, la paix ne viendra pas sans vérité, justice, et volonté politique de reconquérir la souveraineté nationale.
Il plaide pour :
- Un audit des différents accords signés depuis 1994 ;
- Un tribunal pénal international pour la RDC, pour juger les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par toutes les parties ;
- Une refondation institutionnelle réelle, centrée sur les citoyens, la transparence, et la responsabilisation des élites.
Par ses propos, Denis Mukwege renforce sa posture de conscience morale dans un pays ravagé depuis trois décennies par des conflits cycliques. Ses mots sonnent comme un avertissement : tant que l’on continue à répéter les mêmes recettes diplomatiques sans affronter la vérité, la paix durable restera une illusion.
Dans un contexte où l’est du pays demeure instable et où la classe politique peine à inspirer confiance, la voix du Dr Mukwege pourrait bien représenter, pour une partie croissante de la population congolaise, un ultime recours pour une alternative crédible, patriotique et éthique.

























































