Ils se comportent en hors-la loi, le commandant de la ville de Kisangani, le Colonel Kingombe et ses sujets de la police nationale congolaise (PNC). Rackets, vols, arrestations arbitraires, passage à tabac, coups et blessures, intimidations et menaces de mort, complicité avec les bandits,…voici ce à quoi est, désormais, vouée la population civile boyomaise. C’est ce que l’on peut lire dans une correspondance du Professeur ordinaire Alphonse Maindo, adressée au vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur de la République démocratique du Congo. Dans cette lettre consultée par Kivuavenir.com, le Prof exhorte le ministre à diligenter une commission d’enquête pour établir les responsabilités et proposer les mesures idoines face à l’étendue et à la gravité des abus policiers entretenus par la bénédiction du colonel Kingombe surnommé « commandant 100 000 ».
Ci-dessous le contenu de la lettre du Professeur
J’ai la profonde douleur de venir auprès de votre haute autorité pour porter à votre connaissance la dégradation continue de la situation sécuritaire à Kisangani, 3ème ville du pays et mégapole peuplée de 1 500 000 habitants, depuis l’arrivée du Colonel Kingombe à la tête du commandement ville. Kisangani est en train de perdre sa réputation de grande ville paisible.
L’insécurité croissante semble entretenue par certains éléments de nos propres forces de l’ordre. Il n’y a pas de mauvaises troupes, mais seulement de mauvais chef. Les principaux acteurs de l’insécurité sont ceux-là mêmes qui sont chargés de nous sécuriser. Et pourtant leur solde, leurs uniformes et leurs équipements sont payés par nos impôts et taxes en plus de leur formation également aux frais du contribuable. Au-delà des contributions obligatoires qui les nourrit, tant soit peu, les habitants ne maquent pas de donner des enveloppes plus ou moins consistantes à ces hommes en uniformes sensés les protéger des bandits et autres malfrats. Ces derniers semblent malheureusement mieux traités depuis un certain temps que les paisibles et honorables citoyens.
Sous prétexte de combattre la délinquance, des hommes en uniforme de la ville de Kisangani se conduisent en véritables hors la loi, à des fins personnelles, subvertissant la police de sa mission de sécurisation des personnes et de leurs biens. En toute impunité et dans l’incurie ! Ces éléments de la PNC transforment la ville en une espèce de far west où ils ont tous les droits sur les Boyomais dans « leur ruée vers l’or ». Pour faire main basse sur les biens des citoyens, tout leur est permis face aux paisibles citoyens pendant que les malfrats se la coulent douce: rackets, extorsions, passage à tabac, arrestations et détentions arbitraires, intimidations et menaces de mort, coups et blessures.
Quelques faits triés sur le volet étayent mon propos. Primo, le 13 juillet 2019, des éléments du commandement urbain avaient accompli de hauts faits d’arme en centre ville au siège des institutions provinciales et urbaines au grand jour. Des policiers avaient alors opéré en règle et avec méthode des rafles des femmes et filles portant pantalons, mini-jupes et décolletés ou arborant des cheveux rasta. Avaient été également victimes des mêmes abus les mâles portant des boucles d’oreilles et/ou « pantalons look à la folie » ou arborant des cheveux rasta. Lors de ces rafles, des téléphones, de l’argent et d’autres biens avaient été extorqués, des amendes légales imposées contre libération des personnes ainsi arbitrairement arrêtées, passées à tabac pour certains. Les sanctions réclamées par l’opinion et les victimes de ces abus commis au grand jour n’ont jamais été prises.
Secundo, il est établi un système de clientélisme faisant de tous les agents des obligés de leur commandant qu’il faut entretenir quotidiennement par des « rapports », en fait, des enveloppes d’argent ou autres biens. Faute de « faire rapport » régulièrement, l’agent est affecté à une position où il ne pourra plus voir « la lumière du soleil ». Or, la solde des fonctionnaires de police est dérisoire, insuffisant pour couvrir ses propres besoins. Pour tenir leurs engagements vis-à-vis de leur patron, les pauvres fonctionnaires de police sont obligés de rivaliser de génie et de créativité pour saigner à blanc la population. Il en résulte de nombreux abus, rackets, extorsions, mendicités, etc. de tout genre. Aux frais de l’habitant. Le commandant de la ville n’est certes pas l’inventeur de ce fameux système des « rapports », mais il l’entretient bien et s’emploie à en tirer le meilleur parti.
Tertio, les patrouilles nocturnes décidées par l’autorité provinciale prétendument pour sécuriser la population constituent une aubaine inouïe pour les policiers accusés de multiples abus. Toute personne conduisant une moto la nuit et celle transportée sont systématiquement et sans ménagement arrêtées, dépouillées des biens (téléphone, argent, bijoux, etc.). Les motos sont systématiquement saisies et ne peuvent être récupérées que moyennant 100 000 francs congolais. D’où le surnom « Commandant 100 000 » attribué par les fonctionnaires de police de la ville au premier d’entre eux, en raison de la somme minimale d’amende transactionnelle qu’il exige pour toute moto tombée dans les filets de la police urbaine, parfois sous son commandement direct. Depuis quand rouler à moto la nuit est devenu une infraction en RDC ? Ses hommes de confiance dans les commissariats et sous-commissariats lui communiquent régulièrement le nombre des motos saisies pour qu’il ne se fasse pas rouler dans la farine. Le commandant de la ville a imposé un couvrefeu de fait aux résidants de 22h à 5h du matin. Tous ceux qui rencontrent ses patrouilles sont arrêtés et malmenés. Dans la nuit du 23 au 24 novembre 2019 de minuit à 4h du matin, les patrouilleurs du colonel Kingombe avaient érigé un barrage avec deux pickups Toyota (l’une de la PNC et l’autre des FARDC) au croisement de l’avenue Kasobia et de la route TP. Les riverains n’avaient pas pu fermer l’oeil, tant les victimes, les chiens et les agents supposés de l’ordre hurlaient. Une équipe de grands reporters d’un média français étaient témoins médusés de la scène funeste interminable : une
femme violée, un motard fracturé à la jambe, multiples extorsions des fonds et des biens (téléphones, bijoux), tortures, nombreuses motos saisies, etc.
Quarto enfin, les éléments du colonel Kingombe ont spécialement commémoré à leur manière le martyre du héro national Patrice Emery Lumumba à Kisangani, multipliant les abus sur les paisibles citoyens dès la tombée de la nuit noire à cause du manque d’électricité dans la capitale provinciale. Une de leurs proies n’est autre que le médecin gynécologue Mike Maindo Alongo, bien connu dans la ville où il preste dans plusieurs hôpitaux (Cliniques Universitaires de Kisangani, Hôpital du Cinquantenaire, COKIS, etc.). Ce médecin spécialiste a eu le grand tort de circuler la nuit et surtout le malheur de croiser sur son chemin les hommes déployés par le fameux Colonel Kingombe qui l’ont brutalement et arbitrairement arrêté le 17 janvier 2020 vers 23heures à côté l’hôtel La Fourchette où il venait tout juste de raccompagner sa consoeur médecin cardiologue belge qui rentrait en Belgique le lendemain. Il a été, sous l’oeil complice et sur ordre des officiers, passé à tabac, délesté de ses biens (deux téléphones, des liquidités en dollars et en francs congolais), arbitrairement détenu jusqu’au 18 janvier, victime de coups et blessures. Au matin du 18 janvier, les éléments du colonel Kingombe l’ont frappé à nouveau et tenté de l’étouffer. Pourquoi revenir le matin torturer un honorable citoyen, médecin de son état si ce n’est pas un acte prémédité et planifié avec la garantie de l’impunité?
Il a fallu attendre 9heures passées quand ses avocats et sa famille sont arrivés au commandement ville que l’OPJ puisse enfin se résigner de l’entendre sur procès-verbal alors qu’il n’a cessé de l’exiger toute la nuit, en vain. Au contraire, les officiers de permanence ont mal pris sa demande de respect de ses droits et ont ordonné sa correction physique par les policiers et les autres détenus. Informé de tous ces abus, le colonel Kingombe n’a rien fait contre ses hommes, pas même exiger la restitution des biens extorqués et encore moins interpeller ses agents. Bien au contraire, il a eu le 3 toupet d’exiger du Dr Mike Maindo une « négociation à l’amiable » pour lui redonner sa liberté qu’il n’aurait d’ailleurs jamais dû perdre. C’était probablement les frais d’hébergement du Docteur à son hôtel 5 étoiles du cachot du commandement ville où il avait été forcé de passer la nuit sous la torture. Quels vibrants beaux hommages rendus par le commandant ville de notre police nationale à notre héros national mort pour les valeurs de la république et le bien-être de ses concitoyens ! La patrie lui en est très reconnaissante !
Il y a lieu de saluer ici très vivement le professionnalisme et l’éthique très élevée de l’auditeur supérieur, le Colonel Mwaka, qui, aussitôt saisi des faits, a dépêché son substitut Ruffin Enunge pour s’enquérir personnellement de la situation et prendre le dossier en charge. Je leur exprime tout mon estime et toute ma gratitude, ils sont des exemples à suivre. Ils ont mis l’action publique en marche sans demander un seul centime de la victime plaignante, à mon plus grand étonnement. Le Congo survivra grâce à des patriotes comme eux épris de justice et baignés du sens du devoir.
Face à tant d’abus des hommes du Commandant Kingombe, parfois en sa présence, deux hypothèses peuvent être formulées : soit il est incompétent pour assurer le commandement d’une grande unité de police dans une ville d’un million cinq cents mille âmes, auquel cas il doit être immédiatement relevé de ses fonctions, soit il entretient lui-même cette insécurité accrue pour s’enrichir et préparer sa retraite en engraissant au passage ses soutiens dans l’appareil administratif et sécuritaire de l’Etat. Les deux hypothèses ne sont d’ailleurs pas exclusives. Dans tous les cas, la conséquence est la même : la ville de Kisangani devient chaque jour moins sûre surtout à la tombée de la nuit du fait de ceux qui doivent la protéger. Des abus récurrents de la police urbaine exacerbent les tensions et les frustrations d’une population qui se sent déjà abandonné par ses dirigeants provinciaux et nationaux. Et pour cause, le manque d’électricité depuis décembre 2019 (privant les familles des petits moyens de survie et plongeant la ville dans le noir), la voie urbaine totalement délabrée, la hausse des taxes, le banditisme croissant à la faveur de l’obscurité, le défi de trouver de quoi manger, le chômage de masse (affectant principalement les jeunes), le faible pouvoir d’achat, le système de santé défaillant, la difficulté de scolarisation des enfants, etc.
Un cocktail explosif couve dans la ville au sein de la population. Les conséquences très graves sont prévisibles. Les abus policiers viennent jeter de l’huile sur le feu. Il faut éteindre le feu. Dès lors, il importe de remédier rapidement à cette crise grave de confiance entre la police et les citoyens à Kisangani pour éviter le pire, en cette période où les ennemis de la nation menacent son unité. Ces derniers pourraient se nourrir de ce mécontentement général de la population pour se faire plébisciter comme en février 1996 lorsqu’une bavure d’un agent des services d’action et de renseignement militaire (SARM) avait sonné le glas du régime Mobutu à Kisangani. Les jeunes, après avoir paradé en ville avec la dépouille de la victime, Marie Moseka d’auguste mémoire, avaient alors saccagé et détruit tous les symboles de l’autorité de l’Etat à Kabondo : bureau de la commune, tribunal de paix, commissariat de gendarmerie, commissariat de la garde civile, etc. Depuis, l’autorité de l’Etat n’avait pas été rétablie à Kabondo jusquà la chute de la ville sous la coupe de l’AFDL.
Dans le contexte actuel, la commission soutenue de tant d’abus des éléments sous le commandement urbain de la police soulève une question importante. Pour qui travaille le commandant de la ville tant il semble tout faire pour soulever la population de Kisangani contre le pouvoir établi qu’il est sensé servir ?
Partant, Excellence Monsieur le Vice-Premier Ministre, je vous exhorte à diligenter une commission d’enquête pour établir les responsabilités et proposer les mesures idoines face à l’étendue et à la gravité des abus policiers. En attendant, une mesure conservatoire semble s’imposer : la suspension préventive du commandant ville, le colonel Kingombe. Ceci permettrait d’éviter l’aggravation d’une situation déjà macabre et explosive.
Feu Général de corps d’armée, Mayele Lioko Bokungu, d’heureuse mémoire, avait dit en son temps que l’armée et la gendarmerie ne sont pas une poubelle pour les mauvais garçons. Les forces de l’ordre doivent être débarrassées des brebis galeuses en leur sein. Quand on surnomme un haut fonctionnaire de la police nationale « Monsieur 100 000 », cela témoigne de l’ampleur du racket et de l’extorsion.
Convaincu que vous prendrez à coeur la sécurité des populations de Kisangani, plusieurs fois martyres des violences de tout genre, je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le Vice-Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.
Alphonse Maindo Monga Ngonga,
Professeur Ordinaire