Une photo, un protocole, une poignée de main ou même un simple voisinage de circonstance — pour certains, ce n’est que diplomatie ordinaire. Mais pour d’autres, c’est une illustration troublante d’un lien entre Kinshasa et Kigali que même les conflits armés, les accusations de soutien au M23, ou les millions de déplacés dans l’est du Congo, ne parviennent pas à rompre.
Car entre la RDC et le Rwanda, les relations dépassent de loin les simples considérations géopolitiques. C’est une histoire profondément marquée par les tragédies du passé : le génocide de 1994, les guerres du Congo, les migrations forcées, les rebellions successives et une méfiance institutionnelle enracinée. Et pourtant, malgré les discours enflammés, les menaces diplomatiques et les tensions militaires récurrentes, ces deux États ne cessent de se croiser — dans les forums internationaux, les sommets régionaux, ou les sessions parlementaires comme celle de Paris.
Le théâtre de la diplomatie, entre cordialité et hypocrisie
Lors de son allocution à l’APF, Vital Kamerhe a rappelé l’importance de préserver la souveraineté des États francophones, de promouvoir la paix dans les régions troublées, et de consolider les institutions démocratiques. Un message fort, sans mention directe du Rwanda, mais dont chacun pouvait deviner le sous-texte, tant le contexte sécuritaire dans l’est de la RDC est brûlant.
En parallèle, Mussa Fazil Harerimana s’est exprimé sur les enjeux de coopération régionale, d’éducation et de transition verte. Fidèle à la ligne de Kigali, son discours est resté prudent, évitant tout terrain conflictuel. Un silence éloquent, qui en dit long sur la volonté du régime rwandais de continuer à maîtriser sa communication sur la scène internationale, tout en laissant le terrain militaire parler à sa place, selon Kinshasa.
Un double langage politique de part et d’autre
Cette juxtaposition de deux représentants politiques, chacun incarnant une version bien distincte du présent et de l’avenir régional, n’a pas manqué de susciter des réactions au sein de l’opinion congolaise. Sur les réseaux sociaux, les critiques fusent : certains accusent Kamerhe de légitimer indirectement un régime accusé de soutenir l’agression contre la RDC. D’autres rappellent que le dialogue, aussi douloureux soit-il, reste nécessaire.
Mais au sein même de la classe politique congolaise, la présence de Kamerhe à côté du représentant rwandais est interprétée par certains comme une contradiction. Lui qui, par moments, se veut porteur d’un nationalisme d’ouverture, semble naviguer entre volonté de paix et impératif de realpolitik.
Car au-delà du symbolisme politique, la RDC et le Rwanda restent liés par des réalités économiques et géographiques inévitables. Des milliers de tonnes de marchandises traversent chaque jour la frontière de Goma, les routes commerciales entre Bukavu et Cyangugu fonctionnent malgré les tensions, et des réseaux d’affaires informels continuent d’alimenter les deux économies.
En même temps, une guerre à basse intensité sévit dans les collines de Masisi, Rutshuru, Kalehe ou Walikale. L’armée congolaise et ses alliés de la SADC affrontent les rebelles du M23, que Kinshasa accuse d’être directement soutenus par Kigali — accusations que ce dernier nie avec constance.
C’est ce paradoxe brutal qui nourrit le sentiment d’une “relation toxique” entre les deux pays. Une relation faite d’enchevêtrements stratégiques, d’intérêts croisés, de dépendances logistiques, mais aussi d’une haine politique qui ne parvient jamais à se transformer en rupture.
l’APF poursuit ses travaux dans une ambiance feutrée, la réalité congolaise, elle reste marquée par l’incertitude. Que faut-il attendre de cette diplomatie parlementaire ? Est-ce un pont vers une désescalade ou simplement une vitrine cosmétique masquant les vrais enjeux ?
Dans cette histoire d’amour contrariée entre Kinshasa et Kigali, les discours polissent la façade, mais le fond du problème reste entier. Tant que les causes profondes du conflit dans l’Est insécurité, pillage des ressources, crise d’identité nationale et manipulations extérieures ne seront pas adressées, les poignées de main officielles ne seront que des pauses dans une guerre sans fin.