Deux scènes, deux logiques
Le processus de Doha vise directement à instaurer un dialogue entre le Gouvernement congolais et l’AFC/M23, belligérant majeur dans la crise actuelle. Les discussions prévues doivent porter sur les “causes profondes” du conflit, ainsi que sur les modalités concrètes pour parvenir à une cessation durable des hostilités dans l’Est de la RDC. Cette approche rappelle l’esprit de l’accord du 23 mars 2009, signé entre Kinshasa et le CNDP, prédécesseur du M23, qui avait entériné l’intégration politique et militaire de plusieurs rebelles.
À Washington, en revanche, le dialogue est d’une autre nature : il s’agit d’un rapprochement diplomatique entre Kinshasa et Kigali sous médiation internationale, visant à réduire les tensions bilatérales. Ce cadre, bien que distinct du processus de Doha, a un impact stratégique direct sur les dynamiques régionales, Kigali étant accusé de soutenir l’AFC/M23 dans ses opérations militaires.
Le risque d’une approche limitée
Les récentes déclarations dites “conjointes” entre le Gouvernement congolais et l’AFC/M23 laissent entrevoir une structure de négociations principalement axée sur l’actualisation des accords passés, sans réelle remise en cause des logiques qui ont mené à l’échec des précédentes tentatives de paix. Le risque, selon plusieurs experts, est que les discussions se limitent à un simple réajustement des obligations des parties, sans aborder les transformations structurelles nécessaires pour pacifier durablement la région.
Le professeur Martin ZIAKWAU, spécialiste des dynamiques sécuritaires dans l’Est de la RDC, alerte sur ce danger : « Les prochains rounds pourraient se contenter d’un examen des engagements du 23 mars 2009, suivis d’une mise à jour technique. Cela pourrait constituer une occasion manquée d’engager des réformes de fond. » Selon lui, sans une approche innovante, les négociations risquent d’aboutir à une “paix fragile” et temporaire.
Un besoin urgent d’un programme global de paix
Pour éviter l’enlisement, Martin ZIAKWAU plaide pour l’élaboration d’un véritable Programme de paix pour l’Est, qui dépasserait les réponses strictement militaires. Selon lui, il est essentiel de s’attaquer aux causes profondes du conflit : marginalisation politique, compétition pour les ressources naturelles, tensions ethniques instrumentalisées, et absence de perspectives économiques pour les jeunes.
Il recommande également que les experts congolais travaillent sur plusieurs scénarios d’anticipation, afin de préparer des réponses adaptées à différentes évolutions possibles du contexte, que ce soit une escalade militaire, un enlisement diplomatique, ou une fragilisation du soutien international.
Quel avenir pour Luanda et Nairobi ?
Face à cette recomposition des cadres de négociation, l’avenir des processus de Luanda (sous médiation angolaise) et de Nairobi (soutenu par la Communauté d’Afrique de l’Est) semble compromis. Leur pertinence pourrait être remise en cause si le processus de Doha aboutit à des accords distincts, reléguant les efforts régionaux à un second plan.
Dans ce contexte mouvant, l’enjeu pour Kinshasa est double : réussir à obtenir des garanties solides pour la paix sur le terrain tout en maintenant une cohérence stratégique avec ses partenaires africains pour éviter l’isolement diplomatique.