Une grande conférence organisée et animée par la Dynamique des Professeurs et Universitaires congolais a eu lieu, lundi 11 mars 2019, dans la salle paroissiale de la Cathédrale Notre Dame du Très Saint Rosaire de Kisangani dans l’Est de la République démocratique du Congo. Annoncée dans nos précédentes publications, cette méga conférence-débat qui marque le retour des activités de la Dynamique des Professeurs était centrée sur le thème : ‘‘la Cohabitation ou coalition : quel gouvernement pour garantir les intérêts de la nation congolaise ?’’, un débat lancé par le Prof Dr Dénis Mukwege dans son discours du 08 mars dernier. C’était devant une foule nombreuse composée des juristes, politologues, communicologues, journalistes, philosophes, agronomes, économistes, religieux et autres curieux.
En voici le résumé :
Faisant suite aux débats lancés par le Prix Nobel Denis Mukwege en conseillant au Chef de l’Etat Félix Tshilombo de faire de la cohabitation politique plutôt qu’une coalition comme le prévoit le communiqué conjoint FCC-CACH, la Dynamique des Professeurs et Universitaires de Kisangani a tenu à éclairer la lanterne des Boyomais, en particulier et des Congolais en général sur le sujet. Et ce, par l’organisation d’une grande conférence-débat de près de trois heures sur « Cohabitation ou coalition : Quel gouvernement pour garantir les intérêts de la nation congolaise » autour des Professeurs Alphonse MAINDO (Docteur en science politique de l’Université Paris I, Sorbonne et Professeur à l’Université de Kisangani), Antoine NGUTE Novato (Docteur en Philosophie), Président de l’Association des Professeur de l’Université de Kisangani) et Bily BOLAKONGA (Docteur en sciences agronomiques et ingénierie biologique de l’Université de Liège Gembloux Agro-Bio Tech), Recteur de l’Université Mariste du Congo à Kisangani.
Prenant la parole, en guise de prologue, le Professeur Antoine NGUTE a circonscrit la situation post-électorale. Il a retracé une brève genèse de la démocratie tout en en donnant les fondamentaux. Il a démontré comment la démocratie résout les problèmes de représentation au travers le vote où le votant est « l’envoyeur » (peuple, détenteur réel du pouvoir, mieux le patron) et l’élu est « l’envoyé » qui doit répondre aux besoins, aux aspirations de celui qui l’a mandaté. Ainsi, le peuple se choisit des représentants pour répondre au mieux à ses intérêts.
Analysant la situation post-électorale, le Professeur Antoine NGUTE a déploré le fait que la démocratie congolaise, plutôt que de se parfaire ne fait qu’empirer car la corruption devient désormais une attitude normale qui se généralise et s’officialise sans offusquer. Il a également fustigé les élections qu’il a qualifiées de plus basse parodie que l’on n’ait jamais connue. Pour lui, l’absence de l’euphorie au moment de la publication des résultats des élections du 30 décembre 2018 qui s’est plutôt muée en un silence assourdissant de la population sidérée traduisait une forte insatisfaction qui continue à couver et qui peut exploser à tout moment par d’autres voies. Les résultats des élections publiées en flagrante discordance avec la vérité des urnes se soldent finalement par la décrédibilisation des institutions chargées de l’organisation des scrutins et du système politique congolais tout entier.
Par ailleurs, la systématisation, la généralisation et l’officialisation de la fraude et de la corruption devrait conduire à repenser l’organisation des scrutins au second degré pour ne le ramener qu’au premier degré afin d’espérer réduire la proportion des « nominations ». Cependant, le problème demeurerait entier tant le système politique actuel sera recyclé ou reproduit tel que, malheureusement, les signaux l’indiquent jusqu’en ce moment. Et, de poursuivre que le danger c’est de voir le peuple accepter de se laisser rouler dans la farine !
En concluant, le Professeur Antoine NGUTE a, en outre rassuré l’assistance, quant à la détermination de la Dynamique des Professeurs et des Universitaires de Kisangani à continuer son devoir pour que le peuple rentre effectivement dans ses droits, et que ceux qui sont aux affaires, quels qu’ils soient, s’investissent pour le bien de la population afin que soit mis fin à la généralisation, à l’officialisation de la corruption et de la médiocrité.
Le Professeur Alphonse MAINDO a, à son tour, abordé le dilemme de la cohabitation et de la coalition, cherchant à déceler le meilleur des cas des figures pour la nation congolaise. Il a tenu à préciser que le contexte actuel et la configuration politique issue « des élections » indiquent que le Président désigné n’a pas la majorité au parlement. Cette situation est étrange et incompréhensible d’un point de vue socio-politique d’autant plus que les élections présidentielles, nationales et provinciales ayant eu lieu au même moment, il apparait aberrant de constater une nette différence des préférences des électeurs qui, d’une part, font confiance « au chef de l’Etat » au niveau de la présidentielle et, d’autre part, le prive de la majorité pour gouverner ! L’étrangeté de cette réalité a même fait sortir de sa réserve le Prix Nobel de la Paix 2018, le Professeur Dr Denis MUKWEGE qui recommande plutôt la cohabitation. C’est donc à la suite de la réflexion de cette personnalité congolaise hors du commun que s’inscrit cette réflexion du Professeur Alphonse MAINDO et de la Dynamique des Professeurs et Universitaires de Kisangani.
Ainsi, avant de s’étendre sur des considérations théoriques des deux concepts susmentionnés, le Professeur Alphonse MAINDO a estimé que logiquement le choix entre cohabitation et coalition ne devrait pas avoir de raison d’être d’autant plus que les résultats publiés par la CENI faisaient apparaître, sans équivoque, une majorité de plus de 3/5e que s’est octroyée la coalition électorale FCC ; il en découlait indubitablement l’inutilité de la désignation d’un informateur. Logiquement, le FCC n’a aucun intérêt à la coalition avec le CACH. S’il tient à le faire, il y a certainement des enjeux importants derrière. Le CACH devrait donc se méfier et rejeter une telle proposition.
Parlant de la coalition, le conférencier, recourant à l’étymologie du concept, a montré que ce qui y prévaut, c’est l’idée des personnes qui, dans une union momentanée, décident de se souder ou de s’associer dans des principes pour une action commune et concertée ; la cohabitation, quant à elle, renvoie à l’idée de vivre ensemble dans une espèce de coexistence sans jamais se mixer. Il a évoqué, à titre illustratif, l’exemple de François Mitterrand, en France, qui avait même été réélu parce qu’il avait préféré la cohabitation à la coalition.
Pour le Professeur Alphonse MAINDO, la cohabitation est préférable dans la mesure où elle place le Chef de l’Etat dans une posture confortable au sommet de l’Etat, lui donnant le loisir de critiquer l’action du gouvernement et la parole crédible du Premier mandataire public. Pour lui, la cohabitation est le choix de raison pour le Président désigné ainsi que pour le CACH si tant est vrai qu’ils tiennent à survivre politiquement et servir le peuple et la nation congolais. En revanche, dans la coalition, ils se retrouveraient à composer et à faire équipe commune avec le risque imminent de couler durablement et de toute évidence avec une majorité dont on connait les méthodes et les résultats. Cette dernière option ne serait donc pas indiquée parce que le Président désigné et le CACH seraient également comptables des résultats du gouvernement.
Après l’exercice des définitions des concepts, le Professeur Alphonse MAINDO s’est attelé à analyser les cas de figures (coalition et cohabitation) en prenant en compte trois catégories d’acteurs à savoir (1) le Président désigné, (2) le FCC et (3) le peuple.
De la coalition
Dans le registre des avantages
Il faut avant tout noter que le FCC est déjà un gros agrégat qui est difficilement gérable, cependant,
Pour le Président désigné : il pourrait obtenir pour son parti quelques postes ministériels qui lui permettraient d’accéder à une partie de la cagnotte financière, d’une part, et d’accorder une espèce d’assurance vie pour ses membres tout en augmentant l’influence du président désigné et de renflouer les caisses du parti ;
Pour le FCC : la coalition constitue une garantie de la continuité pendant les 5 prochaines années au travers la solidarité gouvernementale qui se créera certainement ; pendant ce temps, le bilan de l’action qui serait éventuellement décrié serait imputable aussi bien au FCC qu’à CACH. Il pourrait même advenir que ce dernier ferait moins bien que le FCC seul qui, par ricochet, pourrait se refaire une virginité politique ; il disqualifierait l’UDPS et son président en inhibant toute action politique pouvant attester de leurs performances ;
Pour le peuple : il bénéficierait d’une espèce de stabilité gouvernementale pendant 5 ans.
Dans le registre des inconvénients
Pour le président désigné et le CACH : par le sort commun qui les lierait au FCC, le Président désigné et le CACH courraient le risque d’une noyade durable voire définitive ;
Pour le FCC : en tant que grande coalition, il devrait faire la place aux nouveaux alliés ; ce qui ferait quelques postes ministériels à repartir aux différents partis qui composent cette coalition ;
Pour le peuple : ce serait la continuité de la misère (malgré les annonces farfelues pour les 100 premiers jours) quand on connait la façon de gérer du régime labellisé FCC pour le besoin de la cause. Le FCC n’a aucun intérêt à voir le CACH avec son président faire mieux que lui et son autorité morale. Bien au contraire !
De la Cohabitation
Dans le registre des avantages
Pour le Président désigné : la cohabitation lui donnerait l’occasion de s’émanciper des accords secrets pernicieux pour son image et son avenir politique d’une part, et d’autre part, des se positionner véritablement au sommet de l’Etat en gérant essentiellement les affaires étrangères et la défense ; dans cette posture, il ne partagerait point le bilan d’un gouvernement FCC qui échouerait dans sa gouvernance.
Par ailleurs, le Président désigné pourrait faire tourner à plein régime le bicéphalisme exécutif et se donner une image de « meilleure garantie » pour la défense des intérêts du peuple ; il pourrait recourir à son droit de dissolution pour se donner une majorité à lui ;
Pour le FCC : il y aurait plus de places pour que le plus grand nombre des partis se servent en termes de postes ministériels et continuent à se partager le « gâteau national »;
Pour le peuple : la cohabitation créerait un esprit d’émulation entre différents regroupements politiques et inciterait donc, par voie de fait, le FCC à mieux travailler se sachant seul comptable de l’action gouvernementale. En outre, la cohabitation pourrait faire obstacle aux velléités de révision constitutionnelle dont on entend parler de la part de quelques membres influents du FCC. Le président désigné pourrait dissoudre le parlement et organiser d’authentiques élections transparentes au bout d’une année conformément à la constitution.
Dans le registre des inconvénients :
Pour le Président désigné : Il pourrait courir le risque de destitution sous prétexte de haute trahison ou faux diplôme à cause des crises institutionnelles avec le FCC, mais dans cette hypothèse, le Président désigné démontrerait qu’il serait une victime expiatoire parce qu’il se battrait pour le peuple. Hypothèse fort probable lorsque l’on considère la grande majorité du FCC au niveau de l’assemblée nationale et éventuellement du sénat ainsi que la composition actuelle de la cour constitutionnelle ;
Pour le FCC : le principal risque concernerait la dissolution de l’Assemblée nationale et du Senat, ce qui ferait perdre au FCC ses différentes majorités, si de nouvelles élections venaient à être organisées ;
Pour le peule : le risque de crise institutionnelle politique pourrait faire basculer le pays dans une espèce d’instabilité pouvant aller jusqu’à la guerre civile ou un coup d’Etat de l’armée entièrement à la solde du Raïs.
En guise de conclusion, le Professeur Alphonse MAINDO a souligné qu’en principe, la question de cohabitation ou coalition ne devrait même pas se poser étant donné l’écrasante majorité que s’était octroyée le FCC lors des élections du 30 décembre 2018. Pour ce grand spécialiste de la politique congolaise, le choix de la coalition par le Président désigné ne serait, en réalité, qu’une véritable une « absorption politique» totale ou un suicide politique et, partant, une condamnation du peuple à la servitude persistante. La survie du CACH et de son président passe nécessairement par un devoir d’ingratitude, en hommage au combat pour la dignité et la liberté de Etienne Tshisekedi, des combattants de l’UDPS et des Congolais martyrisés ; ce qui serait également avantageux pour le peuple Congolais condamné à subir encore de longues années de médiocrité avilissante. La cohabitation politique est la meilleure option pour Félix Tshisekedi et pour l’intérêt de la nation toute entière.
A l’issue de ces deux exposés, il s’en est suivi des jeux de questions et réponses entre les conférenciers du jour, les Professeurs Antoine NGUTE et Alphonse MAINDO sous la modération du Professeur Bily BOLAKONGA et le grand public venue en grande affluence. Il faut noter le public avait répondu chaleureusement à l’invitation lancée par la Dynamique des Professeurs et Universitaires de Kisangani à l’occasion de la reprise de ses activités. Cette une foule nombreuse était composée des juristes, politologues, communicologues, journalistes, philosophes, agronomes, économistes, religieux et autres curieux.
La Rédaction