Le courant indépendantiste a gagné l’Afrique noire après la seconde guerre mondiale. Il a suscité la prise de conscience de quelques leaders congolais qui, bercés par le vent de l’indépendance qui soufflait dans les colonies britanniques et francaises d’Afrique depuis 1945, ont vite compris que le moment était propice pour s’engager totalement, dans la lutte qui devait les pousser à arracher l’indépendance du Congo.
D’après le professeur Gaspard Mugaruka Bin Mubi qui s’est confié au micro de kivuavenir.com ce dimanche 19 février de l’année encours, le courant indépendantiste au Congo,a été au départ,l’œuvre des mouvements religieux syncrétiques comme le Kimbanguisme dans la province de Léopoldville, le Kitawala dans le Katanga et le Mapendo du prophète BUSHIRI Lugando au Kivu.
Ces mouvements aux relents prophétiques et messianiques millénaristes,ont eu un impact sur l’éveil des populations congolaises encadrées par quelques leaders d’opinion qui vont lancer les premieres organisations socio-culturelles à base tribale.Ces associations vont dans la suite,se transformer en partis politiques qui, à travers les discours mobilisateurs de leurs animateurs, vont se décider d’affronter le pouvoir colonial belge appelé à répondre sans tergiversations, à leurs revendications. Celles-ci étaient axées sur l’urgence qu’il y avait à repondre aux exigences des populations congolaises qui reclamaient si pas l’indépendance immédiate de leur pays,plus d’autonomie pour leurs provinces.
“Dans le Kivu, les leaders politiques congolais étaient préoccupés dès 1955,par l’organisation et l’implantation des organisations tribales et partis politiques créés pour canaliser les aspirations des populations gagnées aux idées indépendantistes véhiculées par quelques cadres locaux proches du Mouvement National Congolais ( MNC ) de Patrice Emery LUMUMBA.
D’autres “évolués kivutiens “étaient alors,encadrés par les Missionnaires ” Pères Blancs “ainsi que par quelques membres influents du colonat européen qui militaient pour un ” Kivu autonome ou fédéré “.
Le Centre de Regroupement Africain (CEREA)était le plus grand parti politique du Kivu créé le 23 août 1958 à Bukavu,par Philippe NKUBIRI.
Anicet KASHAMURA en était le principal animateur et le cerveau moteur du ralliement à la cause nationaliste, de quelques leaders Bashi, Bahavu et Bahutu comme Chrysostome WEREGEMERE, Jean MIRUHO et Marcel BISUKIRO.
Ce parti était ouvert à l’élite intellectuelle de la province sensibilisée déjà,sur la lutte engagée par les nationalistes congolais pour arracher l’indépendance.
Le journal ” LA VERITE “, organe de Propagande du CEREA,était un véritable outil communicationnel de combat dans lequel l’on pouvait lire les positions du parti concernant les attentes du peuple congolais face aux tergiversations de la Belgique à céder l’indépendance dans l’immédiat, à sa colonie.
Le CEREA était très implanté dans la ville de Bukavu, dans les territoires de Kabare et Kalehe au Sud-Kivu ainsi que dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Goma,dans le Nord-Kivu.”note-t-il
Pour le professeur Gaspard Mugaruka Bin Mubi l’un des grands notables du Kivu,ce parti n’a pas résisté aux conflits de positionnement politique qui ont secoué l’élite kivutienne à la veille de l’indépendance.
Notre source renseigne qu’il y avait trois piliers de la colonisation à savoir, l’Eglise catholique représentée dans la province par la très colonialiste Société des missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), les sociétés commerciales (le colonat européen) et l’administration dont certains agents parrainaient les leaders politiques congolais, tenaient à garder une main-mise sur les partis politiques dans le Kivu considéré alors, comme une ” terre d’avenir ” qu’il fallait préserver du péril d’une indépendance que la Belgique décidait de céder dans la précipitation.
Celui-ci précise que le CEREA va subir en février 1959, les conséquences du paternalisme du colonat européen qui venait de faire fléchir le Président du parti,Philippe NKUBIRI.
Qui va jeter l’éponge en décidant d’évoluer en acteur indépendant. Son éloignement de la direction du parti va conduire à la scission du mouvement en 3 ailes dissidentes à savoir : le CEREA / KASHAMURA, le CEREA / WEREGEMERE et le CEREA / BISUKIRO.
Ces ailes consacraient ainsi, la tribalisation de ce parti. Chaque animateur cherchait à contrôler le fonctionnement dans son fief et chacun tenait à tirer alors, son épingle du jeu surtout avec l’imbroglio qui a suivi les adresses du Roi Baudouin et du Ministre des colonies le 13 janvier 1959,annonçant non sans regret, l’indépendance prochaine du Congo et les mesures administratives d’orientation de la politique indigènes en cette fin de règne.
“La tension montait déjà,dans le Kivu où les colons belges ayant fait fortune dans l’agriculture,l’élevage et l’industrie,militaient pour une autonomie de cette province considérée alors, comme une véritable colonie de peuplement à l’instar du Katanga minier.
Ils n’étaient donc pas prêts à céder à ce qu’ils considéraient comme une démission du gouvernement belge qui laissait dans la nature,leurs investissements consentis après plusieurs années de sacrifice et de dur labeur.
L’influence du colonat européen était ressentie jusque dans les milieux coutumiers surtout dans les territoires de Kabare, Masisi et Rutshuru où certains colons et agents territoriaux, avaient réussi à parrainer la création en 1959,d’un parti politique appelé à militer ouvertement pour une union avec la Belgique à travers l’avènement au Congo, des États autonomes et fédérés où Blancs et Noirs joueraient des mêmes droits et travailleraient en étroite collaboration.
L’Alliance Rurale Progressiste ( ARP ) fondée à Bukavu en juillet 1959 par le colon Raoul PIRON,était ce parti autonomiste animé par des chefs coutumiers et autres commis congolais au service du colonat européen,comme Hubert SANGARA, Gervais BAHIZI, Théodomir NZAMUKWEREKWA et le Mwami Albert KALINDA.
En optant pour ce mariage contre nature avec le colonat européen, ces leaders refusaient de partager les points de vue de l’élite kivutienne convaincue de la justesse de la lutte héroïque du peuple congolais pour pousser la Belgique à céder l’indépendance sans atermoiements, à sa colonie.
Aller à l’encontre de cette position defendue par les partis nationalistes indépendantistes,signifiait aux yeux de l’opinion, le refus de partager les aspirations profondes du peuple, de palper les réalités du fossé qui s’elargissait entre le pouvoir colonial aux abois et les Congolais déterminés à arracher par tous les moyens, l’indépendance totale de leur pays.”confirme Mugaruka
D’autres petits partis vont essayer de se positionner à la veille de l’organisation de la “Table Ronde belgo-congolaise ” prévue du 20 janvier au 20 février 1960. Il fallait se mettre en ordre utile en faisant du bruit autour des idéaux défendus par les politiciens congolais qui sillonnaient les coins et recoins de la province avant la tenue des élections législatives de décembre 1959.
De nombreux partis sont nés au Kivu dans cette atmosphere de propagande
Le Regroupement des Congolais ( RECO )se présentait plus comme un club d’amis que comme un vrai parti politique indépendantiste.
Fondé par le Régent Abraham LWANWA de la chefferie de Ngweshe dans le territoire de Kabare, ce parti regroupait quelques commis de l’Etat originaires de cette collectivité.Il était présidé par Edmond RUDAHINDWA secondé par Dieudonné BOJI.
Son programme plus sectariste que nationaliste, visait à assurer à l’élite ” shi “de Ngweshe,des places de choix dans les structures politico-administratives que les différentes négociations avec le pouvoir colonial,apporteraient au Kivu.
C’est même en opposition au discours très nationaliste du MNC /LUMUMBA et du CEREA,des partis regroupant en majorité,des Bashi de la chefferie de Kabare,que le RECO parrainé au départ par le clergé catholique de Bukavu, essentiellement par les Pères Blancs, et dont le programme d’action politique reposait sur le principe de ” solidarité villageoise = MULANGANE= “,allusion à la politique divisionniste d’entraide et de protection qui devait guider tiutes les actions des membres ),va se morfondre dans cette attente du gâteau que les politiciens congolais devaient se partager à Bruxelles.
“La classe politique du Kivu était très divisée en 1959 et le cas du RECO est très illustratif à ce sujet.
Ce parti n’a pu recruter au-delà de la chefferie Ngweshe,que dans le territoire d’Uvira où Simon-Pierre MALAGO, ami de Dieudonné BOJI, a été approché et élevé au rang de vice-président du parti pour montrer aux yeux de l’opinion provinciale que le RECO était ouvert à toutes les tribus.
MALAGO sera même propulsé plus tard, à la tête de la province du Kivu-Central comme Gouverneur avec l’appui du RECO et surtout de son ami BOJI, nommé pour ce faire, Ministre des Finances, du gouvernement provincial,dominé à 80% par les membres de cette formation politique.
Quelques partis nationalistes vont se lancer à partir de 1959, à la conquête des membres au Kivu.
Le Parti National du Peuple ( PNP ) va essayer de ratisser large surtout avec le qualificatif de ” Parti des Nègres Payés ” [ par la colonisation ], qui lui était collé dans la capitale,en recrutant un homme de terrain,Jean-Marie KITITWA, journaliste à la gazette swahili ” HODI “depuis 1957, parrainée par les Pères Blancs de Bukavu. C’était le pion majeur qui pouvait faire passer les écris du PNP dans le Kivu gagné aux idées nationalistes.
C’était l’homme qu’il fallait pour battre campagne dans le Maniema et le Sud-Kivu essentiellement, où se trouvait le gros des membres de son ethnie,les Warega,déjà réunis dans une association politico-tribale,l’union des Warega, ” UNERGA “,dont il était président.
Cette association va se rallier officiellement,en janvier 1960 dans le Kivu,au PNP en formant la coalition ” PNP-UNERGA “.
Le MNC /LUMUMBA va renforcer sa position surtout avec l’adhésion du Mwami des Bashi, le N’naBushi Alexandre KABARE RUGEMANINZI, relégué depuis 1936 à Léopoldville et proche déjà en 1958,des Lumumbistes dans la capitale. C’est lui qui va appeler les Bashi à soutenir ce parti indépendantiste dont les principaux animateurs au Sud-Kivu,seront des Bashi de la chefferie de Kabare comme Casimir MBAGIRA, Jean SALIBOKO MULIRI et Ferdinand MUGARUKA.
Beaucoip de Babembe du territoire de Fizi vont se joindre à cette équipe avec l’entrée au comité provincial de Samuel MATABISHI et de Jérôme MUCHUNGA.
Le Maniema, fief du Lumumbisme au Kivu, était représenté au comité par Isaac BINTODI, Denis KATIMBA, Maurice LOUVAIN et Gabriel MUMIMA.
Le Nord-Kivu n’avait pas beaucoip de membres car seul, le territoire de Walikale plus proche du Maniema et de la province orientale, battait au rythme du nationalisme congolais animé par Alexandre MAHAMBA,ami à Patrice Emery LUMUMBA et de ses beaux-frères Bashi du comité provincial.
Le MNC / LUMUMBA était cependant, confronté à des difficultés énormes d’implantation dans le territoire de Fizi où seuls les Babemne avaient rejoint les rangs des nationalistes. Toutes les autres tribus minoritaires, voulaient s’émanciper de la tutelle ” bembe ” en créant des coalitions et regroupements politico-ethniques qui pouvaient leur permettre de faire entendre leur voix et de se retrouver dans les structures administratives de la province.
C’est ainsi par exemple, que naîtra en janvier 1960, l’Union des Bazembo de Fizi ( UNEBAFI ) dont le leader, Albert KINGOMA,va sensibiliser les minorités Babwari, Banjoba et Bazembo, à faire bloc ensemble pour barrer la route aux Babembe et aux autres grandes tribus de la province mobilisés et déterminés à les absorber .” ajoute-t-il
Lire à ce sujet :
1. MUGARUKA, B.M.G.
Congo-Kinshasa. Histoire d’une décolonisation – recolonisation.
Norderstedt / Germany, E.U.E., 2017, 303 pages.
2. MUGARUKA, B.M.
” À propos de l’extension du Kitawala au Kivu. Quelques considérations sur le messianisme du prophète BUSHIRI LUGANDO et la révolte de Masisi-Lubutu ( 1943-1945 ) ” in LIKUNDOLI, E.H.Z., 9 ( 1989 )1, pp. 202-210.
3. MUGARUKA, B.M.
” Autorités coutumières et pouvoir colonial au Kivu ( Zaïre). Le cas du Bushi ( 1912-1960 ) ” in Sociétés et pouvoirs dans l’Afrique des Grands lacs, Cahiers d’histoire, Département d’histoire de l’Université du Burundi, n°3 CH ( 1985 ), pp. 81-109.
4. YOUNG, Gr.
Introduction à la politique congolaise.
Kinshasa, Éd. Univ. du Congo, 1968.
Rédaction kivuavenir.com via le professeur Gaspard Mugaruka Bin Mubibi