Au cours de son séjour à Kisangani, le Président Congolais Felix Antoine Tshisekedi a annoncé, dans la soirée de ce mardi 23 avril 2019, la nomination du premier ministre dans quelques jours. Cette annonce intervient trois mois après l’avènement de Felix Tshisekedi à la tête du pays. Elle vient mettre fin à une longue attente de la population et à un ralentissement des affaires de l’Etat, puisque les ministres actuels ne pouvaient expédier que les affaires courantes. Mais quelles sont les raisons qui auraient entrainé ce grand retard ? Dans un reportage de fouille et d’analyse, Alfred MUKENGERE, étudiant en journalisme, fait une lecture des évènements qui ont entrainé ce retard en passant par des contraintes d’ordre juridique et politique entre le FCC de Joseph Kabila et le CACH du Président Tshisekedi.
A l’issue des élections couplées Présidentielle et législatives tenues le 30 décembre 2018, Felix Tshisekedi, candidat de la coalition CACH (Cap pour le Changement) a été élu Président de la République démocratique du Congo. Au regard des accords de Nairobi qui ont donné naissance à la coalition CACH, le Président Tshisekedi devrait nommer Vital Kamerhe comme premier ministre pour former le nouveau gouvernement. Les députés du CACH n’ayant pas obtenu la majorité des sièges au Parlement pour donner le premier ministre, celui qu’on surnomme le Pacificateur fut nommé Directeur de Cabinet du Président de la République et le nom du nouveau premier ministre demeura inconnu jusqu’à ce jour.
Controverses autour de l’article 78 de la constitution
L’article 78 de la constitution de la République Démocratique du Congo prévoit que « Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Si une telle majorité [Ndlr majorité au sein de l’Assemblée nationale], n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition ». Après la proclamation des résultats des législatives nationales le 10 janvier 2019, le FCC est parvenu à obtenir plus de 300 sièges au parlement. Sur base de ce score, le FCC réclame donner le nom premier ministre conformément à l’article 78 de la constitution. Dans cette situation, une cohabitation se dessinait pour la première fois dans l’histoire politique de la RDC avec un Président dans l’opposition et un gouvernement dans la majorité.
« La majorité est déjà constituée autour de notre autorité morale Joseph Kabila. La constitution est sans équivoque : lorsqu’une telle majorité existe, inutile de nommer un informateur, on procède directement à la désignation du formateur qui deviendra premier ministre » déclarait à l’AFP Me Célestin Tunda, Secrétaire Général adjoint du Parti du Peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD).
Du côté du CASH, la lecture des événements est différente. Ici, plusieurs faits sont encore à considérer et donc, trop tôt pour le FCC de crier victoire et réclamer la primature.
« La majorité se dessine pas au lendemain de la proclamation des résultats des législatives. Elle se dessine avec le temps au Parlement entre les députés et entre différents regroupements politiques. Aucun parti politique ou regroupement n’a obtenu la majorité à la chambre basse du parlement. Le Front commun pour le Congo (FCC) qui revendique la majorité n’est qu’une simple plateforme électorale et ne peut pas réclamer si tôt ce droit de donner le premier ministre. Non seulement le FCC n’est pas un parti politique, mais encore que le jeu des alliances entre partis politiques est encore possible », expliquait le député national Me Alfred Maisha de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe dans une émission de Paix et Développement, dimanche 13 Janvier à Radio Maendeleo de Bukavu.
D’autres voix au sein de la coalition CACH demandaient au Président de la République de nommer un informateur pour identifier la vraie majorité au parlement.
Pour Jean-Baudoin Mayo, secrétaire général de l’Union pour la nation congolaise (UNC), s’exprimant sur TP Congo FM, le 27 février 2019, la nécessité de nommer un informateur se justifie par le fait « qu’aucun parti politique ou regroupement n’a obtenu la majorité à la chambre basse du parlement » et d’ajouter que « CACH ne va pas intégrer le FCC pour constituer cette majorité parlementaire et ne va pas succomber au chantage du FCC ».
Pour d’autres, il fallait attendre la fin du contentieux électoral à la Cour constitutionnelle qui dans un délai de 60 jours, justifiant leur position par le fait que les chiffres proclamés provisoirement pourraient encore subir des modifications avant leur confirmation par la Cour.
A cela, il ne faut ajouter l’opinion de ceux qui pensaient qu’il fallait attendre les résultats des législatives nationales de Beni, Butembo et Yumbi. Des résultats sur lesquels chaque champ comptait pour renforcer son influence.
De la peur de la cohabitation pour une coalition ?
Alors que dans le camp du FCC de Joseph Kabila on ne jure que sur la cohabitation, le nouveau Président n’entend pas être un président de l’opposition. Ici, le Chef de l’Etat envisageait déjà d’activer l’alinéa 2 de l’article 78 de la constitution qui prévoit que « Si une telle majorité [Ndlr majorité au sein de l’Assemblée nationale], n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition ».
« Dans les jours qui viennent, je vais avoir un gouvernement. J’ai entendu beaucoup de spéculations, il y a eu des élections législatives… il y a un groupe qui prétend être la majorité. On attend de l’identifier comme il se doit pour confirmer cette majorité-là, en suite nous irons dans des discussions parce que le président que je suis n’acceptera pas d’être juste un président qui règne mais qui ne gouverne pas », avait déclaré le président congolais lors de ses échanges avec la diaspora congolaise en Namibie le 27 février.
Quelques jours après son retour de Namibie, Tshisekedi désigna Jean Marc Kabund comme informateur pour identifier la majorité au sein de laquelle proviendrait le nouveau premier ministre en vue de la formation du nouveau gouvernement.
La mission de Jean Marc Kabund ne dura pas longtemps. Après deux jours de travail, sa mission donna naissance à une coalition entre le CACH et le FCC. Dans un communiqué signé le mercredi 6 mars 2019 à Kinshasa par Néhémie Mwilanya Wilondja, coordonnateur du Front commun pour le Congo et par Jean-Marc Kabund, président intérimaire de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), un parti du CACH, les deux camps tombèrent d’accord sur l’intention commune de diriger le pays et de former un gouvernement de coalition.
« […] Après des échanges et débats fructueux qui se sont déroulés du 04 au 06 mars courant, il se dégage que le Front Commun pour le Congo détient, de manière documentée, la majorité absolue à l’Assemblée nationale au sens de l’article 78 alinéa 1er de la constitution.
De ce fait, les deux plates formes recommandent :
-A l’Autorité morale du FCC, Président de la République Honoraire, d’accomplir des devoirs se sa charge permettant au chef de l’Etat de procéder à la désignation du formateur du gouvernement ;
-A son Excellence Monsieur le Président de la République de nommer diligemment le dit Formateur du Gouvernement.
Les deux plates formes politiques affirment par ailleurs, leur volonté commune de gouverner ensemble dans le cadre d’une coalition gouvernementale », concluait le communiqué.
Une coalition de bras de fer
Alors qu’on s’attendait à des fruits imminents de cette coalition pour avoir un gouvernement, des rapports de force s’invitent entre le FCC et de CASH plus d’un mois après la naissance de la coalition. Ces rapports portant autour du partage des postes au sein du nouveau gouvernement et autour du nom du premier ministre.
Du côté du FCC, on exigeait 80% des postes ministériels et 20 % pour CACH. Le CACH protestait et exigeait un partage équitable et responsable, soit 50%-50% des postes.
Pour le poste de premier ministre, le Président Felix rejette le nom de Albert Yuma proposé par le FCC. D’un coup, un dialogue du sourd se fit remarquer et chaque camp campe sur sa position chacun rejetant la responsabilité de ce blocage sur l’autre.
« (…) Tant que le Président de la République ne nommera le patron de la Gecamines, Albert Yuma Mulindi, proposé comme chef du gouvernement, bien que cette correspondance n’ait toujours pas été révélée, la coalition pro Kabila ne fera aucun cadeau au camp politique de Felix Tshisekedi et Vital Kamerhe. Le FCC campera sur sa position (80%-20%) », rapportait une source au sein du FCC se confiant au Journal 7SUR7.CD le 12 avril 2019 à Kinshasa.
Une dernière annonce ?
Il aura fallu une rencontre entre les deux patrons du CACH et du FCC le lundi 22 avril 2018 à la cité de l’Union africaine pour mettre fin aux divergences entre les deux camps et espérer avoir un nouveau premier ministre dans les jours qui viennent.
Des sources au sein du FCC comme au sein du CACH renseignent que, Joseph Kabila qui proposait initialement le nom d’Albert Yuma aurait pris acte du refus de Felix Tshisekedi et aurait proposé d’autres noms pour occuper la primature.
C’est sur base des fruits de cette rencontre que Felix Tshisekedi a annoncé ce mardi 24 avril 2019 dans son discours qu’il a tenu à 19heures locales à l’esplanade de l’Hôtel de poste Kisangani, la nomination d’un premier ministre et à la formation du nouveau gouvernement dans les prochains jours.
A l’heure actuelle, les yeux de tous les congolais sont braqués sur la Présidence pour savoir sur qui il va jeter son dévolu pour la primature. Combien de temps cela durera-t-il encore ? Quel sera cet oiseau rare tant attendu il y a maintenant trois mois ? Ce choix respectera-t-il la constitution ? L’accord de Nairobi ? L’accord FCC-CACH ? ou alors les trois textes ensemble ? En tout cas, « voyons voir », comme disait un aveugle à son fils sourd-muet.
Alfred Mukengere